Dans la nuit du lundi au mardi, BBL a débarqué en Corse pour quelques jours de vacances chez ses parents. Mes animaux et moi, nous sommes toujours là, à Montmerdier, incarcérés entre les murs d'un appartement d'où nous ne devons pas bouger, car il représente, pour nous et pour le moment, le seul endroit viable sur cette planète, le seul espace où il nous est possible de mener notre existence avec le minimum d'emmerdements. Les briques, le béton et les vitres du 205 sont les remparts qui nous permettent de maintenir une mince et symbolique frontière entre nous et cette putain de civilisation. Bien entendu, nous ne sommes pas totalement isolés, puisque nous devons endurer le bruit provoqué, jours et nuits, sans interruption, par le quadrupède civilisé. Cette espèce ne supporte pas de vivre plus d'une minute dans le silence — la dernière minute de silence date des lendemains du 11 septembre 2001 — sans avoir le sentiment de devenir folle, d'être larguée dans la nature. Accidentellement confronté au silence, le misérable représentant de la société occidentale, face à l'horreur de son abyssal vide intérieur, est pris d'un terrifiant vertige. Alors par tous les moyens, il s'arrange pour faire de son environnement un bordel permanent qui lui procure le sentiment de ne jamais vivre seul, l'assurance que les membres du troupeau sont à proximité. L'homme civilisé est perpétuellement en insécurité, la trouille ne le quitte jamais. La France est un pays hautement civilisé. Dans ce pays, l'ombre d'une femme voilée, la silhouette lointaine d'un mendiant bulgare ou roumain peuvent mettre à dure épreuve les nerfs du plus courageux de ses ressortissants. Alors, pour atténuer sa peur, il fait du bruit. Le plus de bruit possible. Avec sa voiture, sa moto, sa TV, sa radio, sa chaîne stéréo, sa perceuse, sa disqueuse, sa tondeuse, son taille-haie, son aspirateur, son mixeur, sa machine à laver. Régulièrement, il fait sonner son réveil, active l'alarme sur son i-Phone, son i-Pad, son i-Watch. Et, comme tout ça ne le rassure pas complètement, il hurle, il braille, il vocifère, il a toujours la gueule ouverte. Il y a même celui qui passe son temps à siffler, à chanter. Ce con-là siffle en se rasant, il chante sous la douche. Pauvre péteux ! Aussi et parce que mes animaux et moi, nous ne sommes séparés de cette espèce, dite évoluée, que par les murs faméliques de notre appartement, nous n'arrivons pas à nous isoler complètement. Il nous est difficile de vivre uniquement penchés sur nos magnifiques et somptueux paysages intérieurs, car les quadrupèdes civilisés, « vivant » à proximité, nous détournent régulièrement de nos merveilleux voyages qui se déroulent quotidiennement sous le plafond des pièces de notre refuge fragile et incertain — incertain, puisque d'autres pensent actuellement pouvoir nous rejeter à la rue, vers les bas-fonds. Nous résisterons.